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Tableau de bord de l’aménageur

La note 13 – juin 1998

UN TABLEAU DE BORD POUR LES OPÉRATEURS D’AMÉNAGEMENT

L’actualité de ces derniers mois a quelque peu braqué ses projecteurs sur les défaillances d’opérations ou d’opérateurs d’aménagement, en particulier s’agissant de sociétés d’économie mixte locales. Sans doute faut-il considérer qu’il s’agit là d’un phénomène nouveau, bien indépendant de la crise de l’immobilier dont l’ancienneté (elle remonte à 1990!) ne saurait l’expliquer.

Plus sérieusement, la question se pose de savoir comment il a pu être possible d’occulter cette réalité pendant autant d’années. Les dirigeants et représentants légaux des opérateurs publics d’aménagement (sociétés d’économie mixte locales ou nationales ou établissements publics) ont-ils ignoré volontairement le retournement du marché ou bien n’ont-ils pas disposé des instruments de prévision pourtant indispensables à leur gestion ?

Si la question mérite d’être posée en ces termes, c’est que la comptabilité, fut-elle commerciale, des opérations d’aménagement ne permet nullement d’appréhender leurs risques économiques et financiers tant pour l’opérateur que pour les différentes parties intéressées. Les comptes annuels (bilan et compte de résultat) n’enregistrent en effet que ce qui a été réalisé par le passé alors même qu’il s’agit de prévoir l’issue et les conséquences financières des opérations.

Le CRACL

Si la comptabilité d’une opération d’aménagement ne peut constituer, à elle seule, un instrument de prévision et donc de gestion, il faut cependant noter que cette insuffisance est largement compensée : la loi a ainsi prévu, au moins pour les opérations d’aménagement confiées aux SEML, un compte rendu financier annuel que la pratique a dénommé CRACL (compte rendu annuel à la collectivité locale).

Mais ce document, bien que prévu par la loi dont la finalité de transparence financière est facilement compréhensible, ne semble pas toujours suffisant et efficace dans la pratique. C’est d’abord parce que, même s’il est soumis à l’assemblée délibérante de la collectivité territoriale concernée (de nombreuses opérations d’aménagement sont seulement, aujourd’hui encore, l’objet d’un CRCL, c’est-à-dire d’un CRACL qui n’est pas annuel…), il ne conduit pas forcément à une délibération d’approbation formellement exprimée. Au surplus, à ce stade, la collectivité territoriale n’en tire aucune conséquence sur son budget même s’il en ressort que les engagements pris, fussent-ils importants, doivent être honorés.

Il faut aussi ajouter que ce document ne peut, trop souvent, être simplement lu : il doit être déchiffré. C’est qu’il comporte des listes de chiffres suffisamment longues pour que leur synthèse ne soit pas facilitée et cela d’autant moins que les explications littéraires qui peuvent être fournies sont remarquablement rédigées : elles sont incompréhensibles. Et pourtant, l’ensemble de l’information utile à la compréhension de l’économie générale de l’opération d’aménagement et de ses conséquences financières y est reporté. Comment se présentent donc ces informations et quel usage peut-on en faire ?

postes budget total réalisé au … à réaliser
–   études

–   foncier

–   travaux

–   frais financiers

–   frais de gestion

–   TVA différentielle

–   dépenses diverses

     
–   total des dépenses A A1 A2
–   ventes

–   produits divers

–   participation de la collectivité

 

 

b

 

 

b1

 

 

b2

–   total des recettes B B1 B2
–   solde d’exploitation C    
–   emprunts

–   avances de la collectivité

–   avances des promoteurs

 

 

 

d1

 

d2

–   position de trésorerie   D1 D2

La première colonne intitulée « budget total » comporte une information essentielle : le résultat attendu de l’opération d’aménagement qui est la différence entre les recettes et les dépenses (C). Bien souvent, cette différence est nulle, ce qui peut conduire à rassurer le lecteur du compte rendu financier. Mais cette première lecture est insuffisante. Si le résultat attendu est nul, encore convient-il d’examiner la participation de la collectivité (b) : dans le cas de concession d’aménagement conclue au risque de la collectivité territoriale, sa participation est portée dans les produits ce qui permet de présenter un résultat équilibré. En d’autres termes, la participation qui est un moyen de financement du déficit d’une opération, est présentée comme un produit ou une recette. Seul un changement du mode habituel de présentation des budgets prévisionnels d’opérations d’aménagement permettrait de corriger cette astuce : en l’attendant, il faut la connaître et en tirer les conséquences. Si le résultat attendu (C) – en cas de déficit – reste à la charge de l’opérateur, il faut alors envisager son mode de couverture, c’est-à-dire son financement.

La seconde colonne qui expose la situation, à un moment donné, de l’avancement de l’opération d’aménagement est fort intéressante à analyser pour ce qui concerne les engagements de la collectivité territoriale supportant, en tout ou partie, le risque financier de l’opération. Et cette analyse peut être menée en deux temps. La collectivité peut avoir arbitré entre le versement d’avances (d1) ou de participation (b1) en fonction de ses propres contraintes budgétaires. La constatation de cet arbitrage à la simple lecture du compte rendu financier des opérations d’aménagement permet souvent de se faire une première idée, qui n’est pas toujours fausse loin s’en faut, de la situation budgétaire de la collectivité territoriale : si celle-ci a privilégié les avances, on peut supposer qu’elles ont été financées par emprunts et inscrites au budget d’investissement. Mais il convient aussi, à ce stade, de rechercher si la collectivité territoriale a satisfait aux engagements qu’elle a souscrits en proportion de l’avancement de l’opération. S’il ressort des dépenses (A1) et des recettes (B1) réalisées que l’opération est avancée à 80 %, il convient de savoir si les versements de fonds de la collectivité territoriale à titre de participation (c1) et d’avances (d1) représentent bien un montant voisin de 80 % de son engagement total (b). Cette analyse en deux temps permet de bien mesurer si la collectivité territoriale accompagne l’opérateur dans la mission qui lui a été confiée.

La dernière colonne qui comprend les informations relatives à ce qui reste à réaliser pour achever l’opération est principalement intéressante à l’égard des engagements à honorer par la collectivité territoriale. Si la somme algébrique de sa participation (b2) et de ses avances (d2) est positive, cela signifie que la collectivité va devoir verser des fonds. Et l’on pourra alors ajouter à ce versement net la transformation des avances en participation pour déterminer l’incidence budgétaire (au budget de fonctionnement) pour la collectivité de l’achèvement de l’opération. Si la somme (b2 + d2) est négative l’on peut en conclure que la collectivité a joué, vis-à-vis de l’opérateur, un rôle de banquier et qu’elle recouvrera les fonds avancés au fur et à mesure de l’achèvement de l’opération.

Bien entendu, les commentaires qui précèdent sont succincts et ne sauraient prétendre à une analyse complète d’une opération d’aménagement. N’ont ainsi pas été évoqués les différents problèmes qui peuvent se poser en cas de financement de la collectivité sous forme d’acquisitions d’infrastructures, de redéfinition de la consistance du projet d’aménagement ou du rythme de son avancement… Il n’en demeure pas moins que les informations nécessaires à la confection d’un tel CRACL permettent d’évaluer les conséquences d’une opération d’aménagement tant pour la collectivité territoriale concernée que pour l’opérateur.

Centraliser les CRACL pour avoir un tableau de bord

Si un CRACL est établi en traitant un ensemble d’informations permettant de connaître la situation d’une opération d’aménagement et ses conséquences tant pour l’opérateur que pour la collectivité territoriale, il est alors simple de connaître la situation financière de l’opérateur : il suffit de procéder à la centralisation des CRACL – ou des redditions des comptes du mandataire, ce qui revient au même – pour les opérations dont il est titulaire.

Et une telle centralisation peut constituer le tableau de bord de l’opérateur d’aménagement et de ses partenaires : c’est qu’il fournit tous les renseignements utiles concernant tant les opérations d’aménagement que le fonctionnement. Comment le concevoir et comment l’analyser, telles sont les questions auxquelles il faut maintenant d’essayer de répondre.

Bien entendu, le tableau qui est proposé ici ne reprend que les rubriques estimées utiles aux développements qui suivent : il peut – et même doit – être adapté aux particularités de chacun en fonction des besoins d’informations nécessités par la gestion et les décisions qui sont à prendre.

situation constatée au …

–   études

–   foncier

–   travaux

–   frais financiers

–   frais de gestion

–   TVA différentielle

–   dépenses diverses

       

 

 

 

a1

 

–   total des dépenses       A
–   ventes

–   produits divers

     

 

 

 

–   total des recettes       B
–   stock réalisé au …       C
–   emprunts

–   participation de la collectivité

–   avances de la collectivité

–   avances des promoteurs

       

d1

d2

–   position de trésorerie au …       D

budget prévisionnel à terminaison

–   études

–   foncier

–   travaux

–   frais financiers

–   frais de gestion

–   TVA différentielle

–   dépenses diverses

       

 

 

 

a’1

 

–   total des dépenses       A’
–   ventes

–   produits divers

     

 

 

 

–   total des recettes       B’
–   solde à terminaison       C’
–   solde revenant à la collectivité

–   solde revenant à la société

      D’

E’

 

 

Reste à réaliser

–   études

–   foncier

–   travaux

–   frais financiers

–   frais de gestion

–   TVA différentielle

–   dépenses diverses

       

 

 

 

a »1

–   total des dépenses       A »
–   ventes

–   produits divers

   

 

 

 

 

 

–   total des recettes       B »
–   solde d’exploitation       C »
–   emprunts

–   participation de la collectivité

–   avances de la collectivité

–   avances des promoteurs

   

 

   

d »1

d »2

–   solde de trésorerie       D »

Le risque de l’opérateur

Le premier élément d’appréciation du risque de l’opérateur concerne son fonctionnement : en d’autres termes, il s’agit d’apprécier si les frais de structure qu’il supporte et supportera sont et seront couverts par la « rémunération » imputée aux opérations. Il convient dans un premier temps d’estimer, à la date de la dernière situation, l’état d’avancement d’ensemble des opérations : il peut parfaitement résulter du rapport des dépenses réalisées (A) aux dépenses totales (A’). Et ce rapport est à comparer avec celui de la « rémunération » acquise à la date de la dernière situation (soit a1 rapporté à a’1). Il peut ressortir de cette comparaison que l’opérateur a, pour couvrir ses frais de structure, retardé ou anticipé – ce qui, dans le contexte actuel, n’est nullement rare – sa rémunération au titre de la gestion des opérations dont il a la charge. Bien souvent encore, ce premier travail est susceptible de modifier sensiblement la lecture du bilan, notamment pour ce qui concerne ses fonds propres. Mais cette première étape qui fournit certes une précieuse information n’est pas suffisante : elle doit être complétée par une appréciation des perspectives. Et la « rémunération » qui reste à percevoir sur l’avenir (a »1) doit alors être comparée aux frais annuels de structure de l’opérateur, ce qui permet, en lecture directe, de connaître le « carnet de commandes » exprimé en années et fractions d’années de fonctionnement. Bien entendu, pour élaborer le budget annuel, il faudra recourir aux informations détaillées par années des « reste à réaliser ». En tout état de cause, cette analyse doit conduire à s’interroger sur la capacité de l’opérateur à assumer financièrement ses engagements de gestion des opérations confiées.

Le risque de l’opérateur peut aussi consister dans la prise en charge, en tout ou partie, du déficit de certaines opérations : même en cas de concession d’aménagement, il faut rappeler que cette possibilité existe depuis les lois de décentralisation. Si son montant total peut être connu à la simple lecture du tableau proposé (E’), encore convient-il de s’assurer qu’il a été inscrit dans les comptes annuels de l’opérateur sous forme de provision (ce qui constitue une obligation de l’organe qui arrête ces comptes, bien souvent le conseil d’administration). Et la question se posera du financement de cette charge par la société : c’est que bien souvent le niveau des fonds propres n’est pas en adéquation de tels risques, sauf à recourir aux actionnaires pour qu’ils accomplissent leur devoir… Mais plus subtil est le mécanisme – qui n’est pas rare – qui consiste à faire financer momentanément (pendant quelques années) par l’opérateur un déficit qui ne lui incombe pas. Pour en mesurer la portée, il faut comparer les avances et participations reçues au jour de la dernière situation (somme de d1 et d2) avec ce que l’on aurait dû recevoir ; là encore il pourra être fait usage d’un pourcentage d’avancement de l’opération (rapport de A à A’) qui sera appliqué aux participations totales attendues en fin d’opérations (D’).

Le risque pour les collectivités territoriales clientes

Sur la base de la proposition de tableau ci-dessus, le montant des engagements des collectivités territoriales vis-à-vis de l’opérateur ressort en lecture directe : le total des déficits d’opérations à leur transférer est repris en D’. La structure du tableau présenté devrait permettre, sans difficulté majeure, des regroupements d’opérations par collectivité territoriale de façon à présenter les engagements de chacune. Mais le total des engagements peut aussi être comparé à ceux qui ont été honorés afin de déterminer ceux qui restent à assumer ; sur le plan de la trésorerie, il s’agit de faire la différence entre les engagements totaux des collectivités (D’) et ceux effectivement payés à titre de participation (d1) et d’avances (d2). Le calcul peut aussi être effectué dans le but d’évaluer les incidences sur les budgets de fonctionnement des collectivités territoriales : de l’engagement total (D’) l’on ne soustraira alors que les participations reçues (d1).

Conclusion

Comme on a pu le constater tout au long des développements qui précèdent, le compte rendu annuel à la collectivité locale (CRACL) comporte, pour une opération déterminée, toutes les informations permettant, d’une part, de comprendre son économie générale et, d’autre part, de mesurer les engagements en résultant, tant pour l’opérateur que pour la collectivité territoriale concernée.

La connaissance financière d’un opérateur d’aménagement passe par une centralisation périodique (une fréquence annuelle semble adaptée) de la totalité des CRACL ou des redditions des comptes du mandataire.

Et cette centralisation des CRACL peut parfaitement faire l’objet de missions d’audit ou d’analyse financière aboutissant à la production d’un volumineux rapport. Plus sérieusement, elle devrait déboucher sur une simple synthèse (une feuille de format 21cm / 29,7cm devrait y suffire) des informations disponibles, si les procédures internes de l’opérateur sont adaptées (et elles devraient l’être) à la production d’un instrument de gestion efficace. Pour autant, force est de constater, dans la pratique qu’un tel tableau de bord est peu fréquent : combien de conseils d’administration en disposent ? Et combien d’administrateurs ont une claire vision – ou au moins la connaissance – des enjeux et des risques de l’entreprise qu’ils administrent ?

Et pourtant les administrateurs, qu’ils soient élus ou non, ont la charge de la gestion de l’opérateur d’aménagement et engagent à cet effet leur responsabilité. Il est sans doute temps pour eux de demander avec quelque insistance la mise en place et la production d’un tel tableau de bord : ils exerceraient alors leur mandat dans l’esprit de la loi qui a imaginé les conseils d’administration ou, en langage plus moderne, participeraient ainsi au développement du mouvement de « corporate management » chez les opérateurs publics d’aménagement.

 

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