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Le domaine des collectivités territoriales

La note 33 – mai 2002

Introduction

Les collectivités territoriales sont des personnes morales de droit public ; à ce titre, elles sont propriétaires d’un patrimoine et la pratique utilise alors plus volontiers le terme de domaine. Le régime juridique applicable au domaine des collectivités territoriales est issu du droit administratif, étant précisé que la principale caractéristique est la distinction entre le domaine public et le domaine privé.

1- Le domaine public

Le domaine public d’une collectivité territoriale comprend l’ensemble des biens dont elle est propriétaire et qui sont :

–    soit ouverts au public,

–    soit affectés à un service public.

Même si le régime de la domanialité publique présente de nombreuses particularités, elle suppose que la personne morale de droit public dispose d’un droit de propriété sur les biens entrant dans son domaine. A contrario, il ne saurait être admis qu’une personne de droit privée, physique ou morale, puisse disposer d’un domaine public. La première condition de la domanialité publique est ainsi la propriété par une personne de droit public.

Les biens du domaine public sont soumis aux principes généraux d’inaliénabilité et d’imprescriptibilité du domaine public (rappelés, pour ce qui concerne les collectivités territoriales par l’article 13 de la loi n° 88-13 du 5 janvier 1988 d’amélioration de la décentralisation, dite loi « Galland », article repris sous le numéro L. 1311-1 dans le code des collectivités territoriales).

1-1- Les biens affectés à l’usage du public
1-1-1- Délimitation du domaine

Le critère prédominant de la domanialité publique tient à l’affectation d’un bien à un usage précis : ce sont les notions d’affectation et d’aménagement spécial.

Concernant l’affectation à l’usage du public, elle doit être directe, c’est-à-dire que tous les particuliers peuvent en user. Mais cette usage peut comporter des restrictions à certaines catégories de personnes  ou à certains usages : c’est ainsi que les voies de circulation ne sont pas toutes forcément ouvertes aux piétons et aux véhicules.

Même si le principe général est la gratuité de l’usage des biens ouverts au public, des dérogations à ce principe existent : tel est notamment le cas des péages autoroutiers.

Encore faut-il que le bien soit aménagé spécialement à l’usage qui doit en être fait : et les cas de jurisprudence sont nombreux en la matière pour exiger des aménagements spéciaux[1] afin de statuer sur le point de savoir s’il est ou non compris dans le domaine public.

1-1-2- Utilisation du domaine

Les biens affectés à l’usage du public peuvent faire l’objet d’utilisations communes ou privatives qui sont soumises à des règles précises.

Les utilisations communes des biens du domaine public sont soumises à plusieurs principes qui comportent, le cas échéant, des modalités et limites.

–    Le premier de ces principes est celui de la liberté des utilisations, ce qui soumet le propriétaire de ces biens à l’obligation de les maintenir en état constant d’usage et ne lui permet pas d’édicter des interdictions de portée générale.

Bien entendu, ce principe général n’exclut pas pour autant que l’administration réglemente, notamment pour des raisons de sécurité, l’usage des biens : tel est ainsi le cas de l’ensemble de la réglementation applicable à la circulation ou au stationnement sur la voirie.

–    Le second principe est celui de la gratuité des utilisations communes du domaine public, pour lequel ses limites viennent immédiatement à l’esprit : cas des péages routiers ou du stationnement payant. Pourtant, en l’absence de fondement particulier – et l’on comprend assez facilement les motifs économiques des péages – ce principe doit trouver application systématique : c’est ainsi que l’on ne peut concevoir la prohibition, par un maire, de la circulation des poids lourds sur la voirie communale pour éviter ou réduire les frais d’entretien.

–    Le troisième de ces principes découle de la règle constitutionnelle d’égalité des citoyens devant la loi : l’égalité des bénéficiaires de l’utilisation doit être respectée.

Et la principale limite à ce principe tient au fait qu’il doit être appliqué en tenant compte du fait que plusieurs catégories d’usagers existent qui peuvent se voir appliquer un traitement différencié : pour prendre un exemple, l’on peut citer les tarifs de péages routiers pour les automobiles et les poids lourds.

Bien que le domaine public soit inaliénable et imprescriptible, il peut néanmoins faire l’objet d’utilisations privatives.

–    L’utilisation privative peut résulter d’une autorisation unilatérale de l’administration qui dispose d’un très large pouvoir pour les accorder et les refuser, à condition de motiver, conformément aux règles générales du droit administratif, sa décision[2]. À noter que des considérations financières de « bonne exploitation » du domaine public peuvent fonder la décision de l’administration.

Dans le cas d’autorisation administrative d’usage privatif du domaine public, ses occupants sont essentiellement dans une situation précaire et révocable : c’est ainsi notamment qu’ils ne sauraient prétendre à un quelconque renouvellement automatique de l’autorisation délivrée ou encore à une indemnité pour non renouvellement.

L’occupation du domaine est, en principe, assortie du recouvrement d’une redevance qui n’est toutefois pas due lorsque l’occupation relève d’une considération d’intérêt public. Cette redevance est fixée, dans les collectivités territoriales, par l’assemblée délibérante.

–    L’utilisation peut aussi résulter d’un contrat conclu entre l’administration et une personne privée : ce contrat peut avoir pour seul objet l’occupation ou ne constituer qu’une ou plusieurs clauses d’un contrat plus général (ce qui est notamment le cas d’EDF qui peut utiliser les voies publiques à raison de son contrat de concession).

Dans ce cas encore, l’administration se trouve dans une situation exorbitante du droit commun : il ne saurait ainsi lui être opposée une clause offrant la possibilité à l’occupant de céder son contrat ou une clause lui interdisant par avance la résiliation du contrat.

–    Enfin l’administration peut accorder des autorisations d’occupation du domaine en vue d’un usage privatif par des administrés, à condition bien entendu que l’usage qui en est fait soit conforme à la destination des biens concernés. Tel est notamment le cas des concessions funéraires.

1-2- Les biens affectés à un service public
1-2-1- Délimitation du domaine

L’affectation d’un bien à un service public constitue aujourd’hui un critère important de la domanialité publique, étant précisé qu’il importe peu que le service soit à caractère administratif ou industriel et commercial.

Encore convient-il de préciser la notion d’affectation à un service public. Dans certains cas, c’est la consistance même du bien qui suffit à l’incorporer au domaine public : tel est notamment le cas pour les tableaux des musées ou les terrains d’assiette des voiries. Mais, bien souvent, la domanialité publique exige que les biens aient fait l’objet d’un aménagement spécial en vue du service auquel ils sont destinés. Et les cas de jurisprudence sont nombreux, étant précisé que l’aménagement spécial n’exige pas forcément de lourds travaux d’investissement : promenade[3], ateliers relais[4]…

1-2-2- Utilisation du domaine

Dans le cas d’un service public, il convient de distinguer l’autorité organisatrice ou responsable du service qui est l’administration ou encore la collectivité publique de l’exploitant qui peut être une personne différente et relever soit du droit public, soit du droit privé. En cas de dualité de personne, l’exploitation du service nécessite une mise à disposition de l’exploitant des biens utilisés pour cette exploitation. Dès lors qu’un exploitant du service différent existe, un lien de droit existe entre lui et l’autorité organisatrice portant sur la mise à disposition des biens affectés au service. Et ce lien de droit peut provenir :

–    du contrat qui lie l’autorité organisatrice et l’exploitant : tel sera notamment le cas dans les concessions de service public et dans les affermages (qui ne sont qu’une variété de la concession),

–    d’une autorisation d’occupation du domaine public qui peut résulter d’un acte de la collectivité organisatrice ou d’une clause du contrat conclu : c’est notamment le cas des contrats de gérance ou de simples prestations de service,

–    d’un contrat particulier issu de la loi du 5 janvier 1988 qui a permis la constitution de droits réels immobilier sur le domaine des collectivités territoriales : le bail emphytéotique administratif. Dans ce cas, une juxtaposition de contrats existe[5].

2- Le domaine privé

2-1- Délimitation du domaine

Les biens d’une collectivité publique qui font partie de son domaine privé peuvent être définis par opposition aux critères retenus pour délimiter le domaine public. Entrent ainsi dans la composition du domaine privé, les biens :

–    qui ne sont pas affectés à l’usage direct du public ou à un service public : tel est notamment le cas des réserves foncières constituées en vue d’opérations d’urbanisme,

–    ou qui ne disposent pas d’aménagement spécial en vue de l’usage du public ou d’un service public.

Dans certains cas, en nombre toutefois limité, un texte est venu préciser l’inclusion de certains biens dans le domaine privé des collectivités publiques : tel est notamment le cas des chemins ruraux, des presbytères ou des étangs.

2-2- Utilisation du domaine

Le principe général qui trouve application au cas de la gestion du domaine privé des collectivités territoriales est celui de la soumission des actes en découlant au droit privé. C’est ainsi que les immeubles du domaine privé peuvent être donnés en location selon les règles du code civil ou du code de commerce ; et, dans ce dernier cas, il est même possible de concevoir l’existence de baux commerciaux avec toutes les conséquences qui s’y attachent (propriété commerciale).

La principale limite à ce principe tient à la définition même des contrats administratifs : dès lors que le contrat conclu portant sur la gestion d’un bien du domaine privé contient une clause exorbitante du droit commun au profit de la personne publique, il devient administratif.

À la différence du domaine public, les biens du domaine privé peuvent être aliénés : s’agissant de ventes d’immeubles, elles doivent être poursuivies dans le respect des dispositions de l’ancien article L. 311-8 du code des communes repris à l’article L. 2241-1 du code des collectivités territoriales[6].

Il convient de souligner que le domaine privé des collectivités territoriales peut constituer pour celles-ci une source de richesse importante dont la gestion soulève de nombreuses difficultés[7].

3- Les conséquences de la domanialité publique

Les caractéristiques générales de la domanialité publique ont longtemps conduit à conférer à l’utilisateur des biens qui y sont compris un seul droit personnel. Il faudra attendre la loi du 5 janvier 1988 pour que des droits réels immobiliers soient rendus possibles sur le domaine public dans le cadre juridique du bail emphytéotique, toutefois aménagé au cas particulier.

Dans la mesure où l’occupant du domaine public ne dispose que d’un droit personnel sur les biens qu’il utilise, il ne saurait en être considéré comme propriétaire, ce qui signifie :

–    que les occupations temporaires du domaine public sont considérées comme des transferts de jouissance :

.    exonérées de la contribution représentative du droit de bail (cf. réponse Féron – AN 16 décembre 1961 – n° 12165 – D. adm. 7 E-2122 n° 13),

.    dont le « loyer », en l’occurrence la redevance, n’entre pas dans le champ d’application de la TVA (cf. instruction du 8 septembre 1994, BOI 3 CA-94 n° 61),

–    qu’il convient de recourir aux critères de financement de ces biens par l’occupant et de leur utilisation par celui-ci comme moyens durables de son exploitation (référence à l’article 39 D du c.g.i. et à la jurisprudence en découlant au cas particulier) pour justifier leur inscription à l’actif et leurs modalités d’amortissement sur la durée de l’autorisation de l’occupation du domaine public, étant précisé qu’une telle autorisation n’emporte nullement droit au maintien dans les lieux sous une quelconque forme (au sens du renouvellement automatique ou obligatoire de l’autorisation administrative),

–    que l’occupant du domaine public ne bénéficie d’aucun droit à renouvellement de son titre d’occupation ni à indemnité en cas d’absence de renouvellement ; dès lors la propriété commerciale ne saurait ainsi se concevoir,

–    que les suretés, hypothèques et voies d’exécution connus du droit commun ne peuvent trouver application au cas du domaine public,

–    que, même en cas de difficulté financière, voire de mise en œuvre des procédures du droit commercial en la matière, le droit personnel n’est pas susceptible de valorisation par cession (ce qui semble exclure la possibilité de plan de cession et ne laisserait comme alternative que le plan de continuation ou la liquidation),

il convient de distinguer, pour de nombreuses situations (par exemples : terrasses de cafés, commerces des plages…) ce qui relève de l’activité proprement commerciale susceptible de valorisation économique, le cas échéant par voie de cession, de ce qui provient de l’autorisation d’occupation du domaine public qui ne peut faire l’objet d’un quelconque commerce ou d’une valorisation : en d’autres termes, la valorisation de l’activité commerciale passe par une autorisation administrative qui, elle, se situe en dehors de la sphère marchande,

–    que les règles de la domanialité publique ne peuvent être écartées tant pour ce qui concerne la constitution des biens du domaine public que pour leur statut :

.    c’est ainsi que les contrats conclus pour la construction d’immeubles s’incorporant par nature au domaine public, même entre personnes privées, relèvent du code des marchés publics ;

     si la règle est qu’un marché public suppose qu’une des parties soit une collectivité publique, il est aussi admis qu’un contrat entre deux personnes privées soit qualifié de marché public ; tel est le cas lorsque l’une de ces personnes privées est réputée agir au nom et pour le compte d’une collectivité publique : c’est par application de ce raisonnement que les contrats de travaux conclus par les sociétés d’autoroutes avec des entreprises ont été qualifiés de marchés car portant sur des travaux publics commandés « pour compte » de l’État et destinés à constituer une dépendance de son domaine[8] ;

.    de façon comparable, un immeuble du domaine public ne peut être soumis aux règles de la copropriété, telles que fixées par le code civil ;

     c’est ainsi qu’il a été jugé[9] que : «les règles essentielles du régime de la copropriété telles que fixées par la loi du 10 juillet 1965, et notamment la propriété indivise des parties communes… la mitoyenneté présumée des cloisons et des murs séparant les parties privatives, de certains travaux décidés par l’assemblée générale se prononçant à la majorité, la garantie des créances du syndicat des copropriétaires à l’encontre d’un copropriétaire par une hypothèque légale sur son lot, sont incompatibles tant avec le régime de la domanialité publique qu’avec le caractère des ouvrages publics ; que, par suite, des locaux acquis par l’État, fût-ce pour les besoins d’un service public, dans un immeuble soumis au régime de la copropriété n’appartiennent pas au domaine public et ne peuvent être regardés comme constituant un ouvrage public.» ;

de cette jurisprudence, il a été, en gros, tirée que le régime qui prédomine – copropriété ou domanialité – est celui qui préexiste à l’acquisition du bien immobilier par la personne publique.

[1] : Cette notion d’aménagement spécial a été introduit par l’arrêt du Conseil d’État Berthier du 22 avril 1960 qui a décidé que la place de l’Aéromoteur à Maison-Blanche constituait une « promenade publique affectée en ladite qualité à l’usage du public et aménagée à cette fin ; que par suite, et bien qu’elle n’ait pas le caractère d’une voie publique, elle faisait partie du domaine public de la commune ».
[2] : Selon l’arrêt du Conseil d’État du 5 novembre 1937 (Sté industrielle des schistes et dérivés : Rec. CE, p. 897) l’administration doit rechercher « non seulement si les intérêts proprement dits du domaine dont elle a la garde sont ou non conciliables avec l’admission de la demande dont elle est saisie, mais encore si cette admission ne serait pas de nature à compromettre la sauvegarde d’autres intérêts de caractère général ».
[3] : L’allée des Allyscamps avait été considérée comme faisant partie du domaine public de la Ville d’Arles car aménagée en vue d’un service public de caractère culturel et touristique (Cons. État 11 mai 1959, Dauphin ; Rec. Cons. d’Ét. p. 294).
[4] : C. adm. Paris 7 nov. 1989, SARL Pardor Création : Rec. Cons. d’Ét. Tables, p. 674 ; AJDA 1991, II, p. 377, note C. Devès : à noter que cet arrêt a été rendu dans la perspective de déterminer si un occupant d’un atelier relais pouvait bénéficier de la propriété commercial de son bail.
[5] : Le bail emphytéotique administratif est régi, pour les collectivités territoriales, par les articles L 1311-2 et suivants du code des collectivités territoriales. Pour ce qui concerne le domaine de l’État, la constitution de droits réels a été prévu par la loi n° 94-631 du 25 juillet 1994 : voir sur ce sujet le n° 37 de la semaine juridique du 13 septembre 1996.
[6] : Il convient de rappeler, à cet égard, toutes les évolutions de la réglementation en la matière depuis la parution de la loi « Sapin » qui avait réintroduit l’article L. 311-8 qui a ensuite été supprimé puis rétabli sous sa forme actuelle par la loi du 8 février 1995.
[7] : Cf. à cet effet l’excellent article de G. Lemée paru dans la revue « Études foncières » n° 70 de mars 1996.
[8] : il convient de rappeler que l’incorporation au domaine public des biens de retour d’une concession de service public s’effectue « ab initio », c’est-à-dire dès qu’ils existent ; il est généralement admis que les biens de reprise sont incorporés au domaine public seulement à la fin de la concession.
[9] : Conseil d’État, 11 février 1994, Cie d’assurances Préservatrice foncière n° 109 564 ; cf. Le moniteur du 4 mars 1994.

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