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Le « contrôle analogue » dans les « SPL »

La note 68- décembre 2011

Cet article aurait pu avoir pour titre : et si le contrôle analogue se résumait à une gouvernance normale que toutes les sociétés anonymes devraient connaître ? Bien entendu, il faudra y ajouter quelques particularités provenant de la présence de personnes morales de droit public au capital et dans les organes de gouvernance. Et, au préalable, il faut savoir qui, des élus ou des services de la collectivité, doit exercer ce contrôle.

Le contrôle analogue : par les services de la collectivité ?

L’on sait que la quasi-régie (qui est la traduction du « in house ») est le recours, par un pouvoir adjudicateur, à une entreprise privée sur laquelle il exerce un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services.

L’intérêt de la chose est que ce recours fait échec aux règles de publicité et de mise en concurrence qui s’imposent à toute commande publique. Il s’agit, en quelque sorte d’une consécration jurisprudentielle puis législative d’une longue pratique des sociétés d’économie mixte locales qui a été condamnée au début du troisième millénaire de notre ère[1] avant d’être réintroduite pour les sociétés publiques locales. Et le succès que rencontrent ces nouvelles sociétés montre que les pratiques anciennes ont la vie dure.

Et leur vie est d’autant plus dure que l’on retrouve, ici ou là, une contrepartie à cette liberté des collectivités territoriales de charger leur « SPL » de missions et qui consiste à la faire surveiller de près par les services, au moins dans l’exécution de leur travail. Après tout, si les élus contrôlent leurs services, alors le contrôle des services sur la « SPL » est bien un contrôle analogue. L’on peut même dire que l’exemple vient du haut de l’Europe qui développe une administration puissante capable de tout contrôler…

Mais cette interprétation reste peu satisfaisante, pour deux raisons principales. La première de ces raisons est que « les communes, les départements et les régions s’administrent librement par des conseils élus » pour reprendre les termes de la loi de décentralisation de 1982. Autrement dit, la démocratie exige que le pouvoir soit exercé par les élus. La même idée se retrouve d’ailleurs dans la représentation des collectivités territoriales au sein des « EPL » car il n’est guère envisageable qu’elle soit assurée par des fonctionnaires territoriaux. L’alinéa premier de l’article L 1524-5 du code général des collectivités territoriales rappelle ce principe simple que les collectivités territoriales sont représentées par leurs élus. Ce qui permet d’ailleurs aux élus de pouvoir exercer un contrôle sur les « EPL » qui soit analogue à celui qu’ils exercent sur les propres services de leur collectivité territoriale.

La deuxième idée, puisque la première est par trop difficile à faire prospérer, est que les services de la collectivité doivent exercer sur les « EPL » un contrôle renforcé qui serait alors fondé sur le contrat liant la collectivité à l’EPL. Puisque ce contrat a été passé sans publicité ni mise en concurrence, il est logique que l’intervention des services de la collectivité soit accrue. Cette idée peut cependant être combattue, d’abord parce qu’elle n’est nullement présente dans la jurisprudence européenne de la quasi-régie ou dans la loi française qui ne mentionnent que le contrôle sur la personne morale et non pas sur son activité et il est peu fréquent, de nos jours, de considérer que tout ce que la loi ne prévoit pas est possible. Mais il s’agit aussi d’une distinction entre la gouvernance d’une société commerciale qui relèverait normalement des élus et l’exercice de son activité qui s’inscrit obligatoirement dans le cadre de contrats dont la surveillance serait assurée par les fonctionnaires. L’argument est peu flatteur pour les élus : en dirigeant l’EPL et en fixant son mode de fonctionnement (par exemple dans le cadre du règlement intérieur), ils restent incapables d’une réelle surveillance de l’exécution des contrats. Mais il est tout aussi vrai que les élus ne peuvent pas tout savoir – les aspects techniques des métiers de chaque collectivité sont importants – et que la compétence des services de la collectivité peut être précieuse. Reste un dernier point qui est de savoir si le recours à une « SPL » mérite un contrôle renforcé qui soit prévu non pas dans ses statuts mais dans les contrats qu’elle passe avec ses actionnaires. L’on écartera, par manque d’intérêt, le débat pour savoir qui impose ce contrôle renforcé : la collectivité ou l’EPL, c’est-à-dire les élus qui restent les mêmes lorsque la société ne travaille que pour son ou ses principaux actionnaires. Il ne peut cependant être évité dans le cas des « EPL » qui travaillent pour leurs actionnaires fortement minoritaires et l’on peut alors concevoir que la demande émane de la collectivité et que l’EPL y réponde favorablement. Quant au degré de ce contrôle, il n’est pas certain qu’il faille, par principe, le choisir trop grand : l’avantage des « SPL » est d’avoir un fonctionnement souple que trop de contrôles rendraient rigide.

En conclusion, l’on se bornera à dire que le contrôle d’une « SPL » par les services de la collectivité actionnaire peut normalement porter sur l’exécution des contrats qui lui sont confiés et qu’il est, comme en toute chose, préférable d’éviter toute exagération.

Le contrôle analogue : la gouvernance de la société.

La gouvernance d’une société anonyme – ce que sont les « SPL » – est démocratique : les actionnaires nomment et surveillent les administrateurs qui procèdent de même pour leur président et leur directeur général, toutes ces personnes étant sous la surveillance de leurs clients. Ce principe démocratique est bien difficile à mettre en œuvre lorsque le client, l’actionnaire et l’administrateur sont réunis en une seule et même personne, ce qui est le cas des collectivités territoriales dans les « SPL ». Et, de fait, l’on constatera que les organes des « EPL » comportent un fonctionnement assez largement calqué sur celui des collectivités territoriales qui n’ont qu’un seul organe délibérant qui rassemble tous les pouvoirs : dans la plupart des cas, le conseil d’administration est l’organe principal de décision et l’assemblée générale est plus une « chambre d’enregistrement ». Toute la question est alors de savoir si ce conseil d’administration et son émanation qu’est la commission des marchés peuvent assurer une réelle gouvernance qui vaille contrôle analogue.

Pour qu’il en soit ainsi, encore faut-il que les pouvoirs du directeur général ne soient pas trop larges et que le conseil d’administration et la commission des marchés en conservent les plus importants. Sans vouloir dresser une liste complète, l’on se bornera à quelques exemples.

  • S’agissant des contrats que la « SPL » conclut avec ses actionnaires et qui fondent son activité même, il semble logique que les administrateurs décident (et non pas autorisent ou entérinent[2]) de leur conclusion et de leur exécution. Pour ce qui est de leur conclusion, l’on ne manquera pas de souligner qu’il est à recommander que ces contrats ne soient pas qualifiés de « convention réglementée », sauf à ce que l’actionnaire et l’administrateur intéressé ne prenne pas part au vote, tant en conseil d’administration qu’en assemblée générale ce qui serait contradictoire avec la notion même de contrôle analogue, tout spécialement dans le cas où cet actionnaire est prépondérant ou client unique[3] ! Quant à leur exécution, il serait également normal que les administrateurs interviennent à toutes ses étapes comme l’arrêté des budgets successifs ou des comptes contractuels[4] ou bien encore lors de la survenance de difficultés particulières pour prendre les décisions utiles.
  • S’agissant des contrats d’aval, l’on peut également concevoir que les administrateurs, au sein de la commission des marchés, se prononcent sur le choix des financements, même si l’obligation n’est pas instituée par la loi.

Mais ce mode de fonctionnement doit également être combiné avec quelques dispositions particulières de composition des organes, si l’on veut que les actionnaires minoritaires puissent être effectivement présents et voter lorsqu’il s’agit d’opérations les concernant. Il est, à cet effet, assez facile de concevoir des règles de composition et de vote adaptées lorsqu’il s’agit de la commission des marchés puisque c’est le conseil d’administration qui les fixe. La chose est plus délicate lorsqu’il s’agit du conseil d’administration car plusieurs solutions existent dont certaines sont lourdes à mettre en œuvre. L’on peut ainsi réunir préalablement l’assemblée spéciale pour donner un mandat explicite à son représentant au conseil d’administration de statuer mais, outre cette étape supplémentaire, il n’est pas garanti nullement que ce représentant soit celui de la collectivité territoriale qui sera intéressé à la décision à prendre. L’on peut aussi envisager la voie statutaire de « censeurs » au conseil d’administration, ces postes étant occupés, autant que de besoin, par les représentants des collectivités territoriales à l’assemblée spéciale en fonction des décisions à prendre et l’on pourrait même envisager qu’ils puissent participer aux décisions du conseil d’administration. Il reste, enfin, la solution de l’invitation à telle ou telle séance du conseil d’administration avec mention expresse dans le procès-verbal de la position de la personne intéressée au regard de la décision prise (qui pourrait être le représentant de la collectivité territoriale à l’assemblée spéciale).

Si les pouvoirs du directeur général sont limités par ceux directement exercés par le conseil d’administration, l’on peut alors envisager de recourir à la solution de la société anonyme à directoire et à conseil de surveillance qui, au cas des « EPL » nécessite quelques précisions. Ces sociétés sont, dans la plupart des cas des « PME » dont la direction générale ne nécessite pas forcément plus d’une personne ; or la loi exige au moins deux directeurs si le capital est de plus de 150.000 €, ce qui est fréquent dans les « EPL »[5] . Cette solution risque ainsi d’être inadaptée et couteuse. Par ailleurs, la loi ne permet pas d’être présent au conseil de surveillance et au directoire de sorte que la solution est alors de réserver les postes de direction encore aux personnes physiques représentant les collectivités territoriales présentes au conseil de surveillance, mais avec alors la responsabilité qui s’y attache[6]. Dans ce cas, l’on se posera nécessairement la question de l’utilité de cette formule puisque la solution est la même avec un conseil d’administration. L’on pourrait aussi nommer au directoire les collectivités actionnaires minoritaires qui ne sont pas directement présentes au conseil de surveillance[7] et l’on tomberait, une fois encore sur la difficulté à argumenter un réel « contrôle analogue », en particulier en présence d’actionnaires et clients importants.

Reste la possibilité de nommer au directoire une personne qui n’est pas actionnaire et c’est alors souvent la même situation que celle du directeur général lorsque ces fonctions sont dissociées de la présidence du conseil d’administration. Cette situation se rencontre fréquemment dans la pratique des « EPL » et elle ne devrait, en rien constituer un obstacle au « contrôle analogue » des collectivités territoriales. A condition toutefois que les pouvoirs de ce directeur général ne soient pas trop grands et que le conseil d’administration ou de surveillance dispose de prérogatives importantes et les exerce effectivement. Il s’agit de recourir à des compétences qui ne sont pas forcément immédiatement disponibles (et le manque de temps y contribue) chez les administrateurs.

Quelle que soit la personne qui exerce la direction générale, il lui appartiendra d’organiser et de superviser le travail des services de la société et de disposer des pouvoirs suffisants à cet effet. Ce qui ne veut pas dire qu’ils seront forcément grands. Par exemple, pour ce qui est de la mise en œuvre des moyens (humains et matériels) nécessaires à l’exercice de l’activité, un dosage est possible entre les prérogatives du conseil d’administration et celles du directeur général : cela va d’une simple décision de vote d’un budget de fonctionnement à plusieurs dont celle pour l’achat d’une photocopieuse. Plusieurs choix sont possibles, même les plus sages et les plus pratiques.

En conclusion, les représentants les collectivités territoriales au conseil d’administration peuvent – voire, doivent -, en fixant son mode de fonctionnement et par les décisions qu’il prend, disposer d’une réelle maîtrise de la « SPL » et ainsi exercer sur elle un « contrôle analogue » à celui dont ils disposent sur les services de leur mandant.

En conclusion

Pour qu’une collectivité exerce sur une « SPL » un contrôle analogue à celui dont elle dispose sur ses propres services, elle ne saurait s’en décharger sur ses propres services : ses élus sont en première ligne.

Les élus de la collectivité sont présents au sein des organes de la « SPL » dont le principal est le conseil d’administration. Il leur appartient de veiller à ce que cet organe soit régulièrement appelé à décider de toutes les questions importantes de la gestion sociale, en définissant clairement ses pouvoirs et ceux du directeur général.

Autrement et bien succinctement dit : le « contrôle analogue » n’est que l’exercice normal du métier d’administrateur de société.

 

[1] – Cette condamnation était encore timide dans la loi « Sapin » de 1993 pour les délégations de service public, plus ferme dans la réforme de la loi « MOP » de 2004 puis celle des concessions d’aménagement de 2005 ou dans la création des partenariats et des concessions de travaux publics.

[2] – A cet égard, un soin particulier est à donner à la rédaction des procès-verbaux car « les écrits restent ».

[3] – Il est utile, à ce sujet, de se reporter aux différents avis de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes qui écarte du champ d’application des conventions réglementées ces contrats d’amont. Bull. n° 130, p. 356, n° 106, p. 313, n° 70, p. 211, n° 63, p. 316.

[4] – Rapport financier du délégataire, du partenaire, du concessionnaire, compte rendu financier des subventions…

[5] – Les « EPL » d’aménagement ont un capital minimal de 150.000 € et celui « EPL » immobilières est de 225.000 €. Seules les « EPL » de services échappent à cette obligation.

[6] – La responsabilité civile du représentant d’une collectivité au conseil d’administration incombe à cette dernière. Si elle est présente au conseil de surveillance et au directoire, il sera considéré que le directeur agit en tant que personne physique car la collectivité ne peut être présente dans les deux organes.

[7] – Parce que réunies en assemblée spéciale et qui désignent un représentant commun au conseil de surveillance. Reste à savoir si cela suffirait comme argument pour pouvoir être au directoire.

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